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ludo973
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6 juillet 2010

Le Mondial, un spectacle pour les consommateurs ou pour les citoyens?

La télévision par câble ou par satellite, les chaînes cryptées ou encore le pay-per-view ont érodé le modèle d'accès gratuit aux grands évènements sportifs par des chaînes hertziennes. Face à cette menace, un décret du 22 décembre 2004 impose que 21 événements sportifs "majeurs" soient accessibles à tous en France. Ce décret est lié au marché unique européen et à une directive communautaire "Télévision sans frontières" (1989) visant à permettre "au public d'accéder librement à la retransmission d'événements jugés d'une importance majeure pour la société"

Certains spectacles sportifs semblent ainsi être devenus des biens publics auxquels le citoyen doit pouvoir accéder sans payer. Evidemment, cette définition du spectacle sportif ne va pas de soi. On peut tout d'abord s'interroger sur le périmètre des événements retenus qui correspond largement aux meilleures audiences et renforce ainsi les clivages entre les sports médiatisés et les autres.

De plus l'application de la loi pose problème puisque, par exemple, la finale du championnat d'Europe de handball remportée par la France en 2006 n'a pas été diffusée sur une chaine hertzienne alors qu'elle fait partie des 21 événements majeurs. Il convient également de se demander ce qui légitime la défense de l'accès au spectacle sportif. Est-ce pour aller dans le sens d'un modèle de consommateur-citoyen, à l'image de ce que les conservateurs espagnols exprimaient à propos de la médiatisation du football : "cette conquête sociale qu'est le football pour le consommateur espagnol" (Le Monde, 31 mai 1997) ? Est-ce parce que l'émotion collective des grandes victoires entretient le sentiment d'appartenance à une communauté et permet l'affirmation de liens qui dépassent les clivages sociaux ? Faut-il garantir l'accès aux grands événements sportifs parce qu'ils symbolisent une culture partagée ?

LE PARADOXE D'UN SPORT À USAGES CONTRADICTOIRES

Le désir d'une citoyenneté soucieuse d'un renforcement des liens sociaux est louable mais les effets de la célébration des héros nationaux demeurent souvent modestes : la France "black-blanc-beurs" de 1998 n'a laissé que bien peu de traces. Les détracteurs du spectacle sportif suggèrent que la massification du spectacle sportif détourne l'attention des citoyens des questions politiques plus fondamentales. En effet, la mobilisation politique semble varier en raison inverse de la diffusion de la consommation (Hirschman A. O., Bonheur privé, action publique, 1983, Paris, Fayard) et on peut s'interroger sur la contribution à la citoyenneté d'un spectacle sportif essentiellement masculin, médiatisé par des journalistes hommes pour une audience masculine.

Est-ce pour tempérer une vision libérale du marché et la rendre plus acceptable que l'accès de tous aux grands événements sportifs est devenu un droit ? Alors que la figure du consommateur a effacé celle du travailleur avec la montée du libéralisme (Ohl F., La construction sociale des figures du consommateur et du client, 2002, Sciences de la société), la mobilisation de la figure du citoyen est une façon d'y résister (Gabriel Y., Lang T., The Unmanageable Consumer. Contemporary Consumption and its Fragmentations, 1995, London, Sage).

Il peut donc sembler paradoxal de sélectionner des produits de grande consommation et de les métamorphoser en évènements "d'importance majeure" au nom de la culture et de la citoyenneté. Le paradoxe est bien celui du sport qui connait des usages multiples et contradictoires : il peut renforcer un sentiment communautaire ou, à l'opposé, accentuer des clivages.

Fabien Ohl et Lucie Schoch, Université de Lausanne, dans Le Monde

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